La République de Belarus: 20 ans sans (r)évolution!

Article paru dans le genevois du 28 août 2009
 
Biélorussie ou République du Belarus? La dénomination officielle onusienne en français proposée par le gouvernement biélorusse lui-même est République de Bélarus, et non pas Biélorussie comme le recommandent diverses instances francophones (dont l’Académie française). Cet ex-république de l’URSS (République Socialiste Soviétique de Biélorussie, abrégé en RSSB), avait, tout comme l’Ukraine, une place à part parmi les quinze républiques de l’URSS: la RSSB était dotée de sa propre Constitution, de son drapeau, de son hymne et elle avait même son siège à l’ONU en tant que membre fondateur.

 

Suite aux évènements qui ont mené à la désintégration de l’URSS, la Biélorussie proclame son indépendance le 27 juillet 1990 et Stanislaw Chouchkievitch est élu chef de l’État. La Biélorussie présente le 12 mars 1993 sa candidature au Conseil de l’Europe, mais n’obtient qu’un statut d’invité spécial, statut qui sera d’ailleurs suspendu en janvier 1997 en raison de son nonrespect des Droits de l’Homme et des principes démocratiques. À ce jour, le pays est le seul État européen à ne pas faire partie du Conseil.En 1994 Alexandre Grigoriévitch Loukachenko est élu président de la République, après avoir fait destituer son prédécesseur sous l’accusation de corruption. Il dote le pays d’une nouvelle Constitution, appuie sa politique sur la nostalgie du communisme et sur un régime fort. En 1997, un traité est signé avec la Russie (qui prévoit, entre autres, l’abolition de la frontière douanière entre les deux pays). A. Loukachenko est réélu (avec un score soviétique!) en 2001, puis en 2006, malgré une opposition grandissante inspirée par la Révolution orange ukrainienne. La régularité du déroulement de cette dernière élection est contestée par le Conseil de l’Europe et par l‘OSCE. La Biélorussie est désignée par ces instances comme la «dernière dictature d’Europe ». Finalement, les Etats-Unis et Bruxelles interdiront à Loukachenko et un certain nombre d’officiels biélorusses de visiter les Etats-Unis et l’Union européenne. Cependant, après des années de relations glaciales avec Minsk, Bruxelles à récemment commencé à assouplir sa position au vu de la discrète, mais mesurable relâche du contrôle politique. En 2008 Loukachenko a décidé de libérer les prisonniers politiques du pays, en conséquence de quoi, Bruxelles à levé l’interdiction de déplacement fait à A. Loukachenko et à d’autres hauts fonctionnaires.
Cependant, suite à la manifestation (interdite par le pouvoir) commémorant les 20 ans de l’accident de Tchernobyl, le gouvernement à fait emprisonner les principaux leaders de l’opposition, les accusant notamment de hooliganisme! Malgré ces quelques signes d’ouverture, il faut bien constater que 20 ans après l’indépendance, rien n’a fondamentalement changé pour le citoyen biélorusse ordinaire: seulement 5% des terres agricoles se trouvent en mains privées. Les kolkhozes assurent toujours l’essentiel de la production agricole. Formellement transformées en SA, ces kolkhozes font vivre la grande majorité de la population rurale et permettent à l’Etat d’encadrer socialement et politiquement cette partie de la population. Les citoyens qui veulent monter leur propre affaire peuvent obtenir une licence d’entrepreneur libre. Cependant, depuis 1996, les tracasseries du pouvoir n’ont pas cessé de rendre leurs affaires plus difficiles. En effet, le régime considère que les entrepreneurs libres pourraient devenir de dangereux opposants, surtout s’il leur prenait l’idée de s’organiser en association!

Le régime peut se permettre de museler les initiatives individuelles, car la très relative prospérité du pays repose sur trois piliers: le transit et le raffinage du pétrole russe (payé au prix du marché intérieur), la métallurgie et la production d’engrais et de produits chimiques (fournis par des sociétés unitaires). En outre, près d’un quart du PIB du pays est représenté par des cadeaux directs de la Russie. Voilà tout le secret du «miracle économique» biélorusse. Les privatisations ont été une vaste farce car l’État est resté actionnaire ultra majoritaire des entreprises «privatisées ». En outre, d’autres grandes entreprises restent propriété de l’Etat sous le nom de «sociétés unitaires». Ceci s’explique par le fait que «la dernière dictature d’Europe» est aussi totalement fermée au capital étranger, suite au gel des relations entre Minsk, Bruxelles et Washington. L’État contrôle par exemple plus de 95% du secteur bancaire. Le pays est également fermé aux oligarques russes, dont le régime se méfie beaucoup. En Biélorussie, il n’y a qu’un seul oligarque: le président A. Loukachenko. De cette façon, il n’y a pas, comme en Russie, de contre-pouvoir basé sur le capital qui pourrait s’organiser. Sur ce point, le régime biélorusse n’a pas commis la même erreur que Boris Nikolaevitch Eltsine.

En 20 ans de pouvoir, les nouveaux dirigeants de ce pays n’ont pas réussi ou voulu faire évoluer une situation politique et économique, car ils se sont appuyés sur les largesses économiques de la Russie et ont réussi à en museler toute forme d’opposition chaque fois que c’était nécessaire.

 

n avril 1986 le pays est touché par la catastrophe de Tchernobyl. Environ 70% des retombées radioactives de la centrale ukrainienne arrosent le pays. Plus de deux millions d’habitants vivent dans des zones contaminées. Ces dernières ne seront pas évacuées et ne recevront peu ou pas d’information.

Norberto Birchler,
Candidat à l’élection d’octobre 2009 au Grand-Conseil

 

Le Transsibérien : un périple inoubliable

Carrefour Médias n° 34 – printemps/été 2008 – Journal de l’USAP

Le journal d’un périple inoubliable

Aucun parcours ferroviaire n’égale le Transsibérien. Ses voies ont survécu à la Révolution communiste, à deux guerres mondiales, aux famines, aux inondations, aux hivers glaciaux et aux étés torrides de la Sibérie, traversent sept fuseaux horaires et font le lien entre l’Extrême-Orient russe et la Russie d’Europe. Les rames du Transsibérien n’ont rien de particulièrement glamour et ses trains ne sont pas pour les voyageurs pressés : la vitesse moyenne est de 60 km/heure. Néanmoins, le voyage n’est jamais ennuyeux, en partie grâce aux rencontres avec les autres passagers et passagères, toujours prêts à partager un repas avec un verre de vodka ou à engager la conversation.
Les hommes russes préfèrent fraterniser à la vodka afin de mesurer la résistance de l’Occidental ! Les femmes russes, elles, apprécient les marques de galanterie des Occidentaux et y répondent avec un sourire ravageur. Quant aux enfants sibériens, c’est le côté exotique de l’Occidental qui les fascine. Les rencontres se déroulent la plupart du temps au wagon restaurant ou à l’occasion de l’une des multiples haltes techniques qui jalonnent le parcours toutes les 6 à 8 heures. Si l’on veut profiter de petits conforts supplémentaires, une bonne entente est indispensable avec le personnel attribué à chaque wagon !

28 mai: notre périple s’effectuera à contre-courant, au départ de Vladivostok, capitale de l’Extrême-Orient russe, vers Moscou car Moscou – Vladivostok est réputé pour la charge de «trains spéciaux blindés», surtout bondés de touristes américains.
29 mai: après avoir longé la frontière russo-chinoise durant la première nuit de voyage, nous arrivons à Khabarovsk, ville animée et charmante sur les rives de l’Amour. Puis, à 2 heures à l’Ouest, Birobidjan capitale de la Région autonome juive, créée en 1927 à l’initiative de Staline, mais qui ne compte en réalité de nos jours plus que 2 % de population juive suite à l’émigration massive qui a suivi l’établissement de relations diplomatiques entre la Fédération russe et Israël en 1991.
30 mai: à la frontière entre l’Extrême-Orient russe et la Sibérie, entrée en gare de Ierofeï Pavlovitch, du nom de l’explorateur russe qui a également donné son nom à Khabarovsk (Ierofeï Pavlovitch Khabarov). Puis, traversée des immensités de la steppe sibérienne. Souvenirs indélébiles ; bouleaux, marais et plaines se perdent à l’horizon et alternent sans cesse.
31 mai au matin: avant de longer la rive sud du magnifique lac Baïkal, halte dans la cité fascinante d’Oulan-Oude, où se mêlent les cultures russes et bouriates. Arrivée le soir même à Irkoutsk dans laquelle une halte de 48 heures pour une visite approfondie de la ville vaut à elle seule le voyage. En forme de croissant, le lac mesure 636 kilomètres du nord au sud, mais seulement 60 kilomètres de large. Lac le plus profond du monde (1 637 mètres), il contient près d’un cinquième des réserves d’eau douce de la planète. Sa température est froide (jamais plus de 15°) et l’eau claire : la visibilité atteint 40 mètres en profondeur.
Le 2 juin, vers l’Ouest, nous atteignons Krasnoïarsk, la ville qui franchit l’Ienisseï, l’un des plus beaux cours d’eau de toute la Sibérie.
Le 3 juin: courte halte à Novossibirsk, «capitale» de la Sibérie : cette halte permet de comprendre comment cette ville, fondée en 1893 autour du pont sur l’immense fleuve Ob, est devenue une plaque tournante, dans cette région aux ressources naturelles impressionnantes.
Enfin le 4 juin au soir nous atteignons Iekaterinbourg, ville dans laquelle le dernier tsar et sa famille furent assassinés en 1918. Capitale culturelle et économique de l’Oural, passage obligé des voyageurs, qui, en l’atteignant, quittent l’Asie.
Nous repartons le matin du 5 juin pour un trajet de 24 heures qui nous mènera à Moscou en passant par Kazan, l’une des plus anciennes villes de Russie, qui vient de fêter son millénaire en 2005, et dont le centre est bordé par le plus célèbre des fleuves russes : la Volga.

Ienisseï, Ob … Volga : des fleuves à l’échelle des immensités traversées. Le Rhin serait-il un ruisseau ?

Le 6 juin, 09h10 : Moscou. Capitale de toutes les Russies et terminal de ce périple de 9286 km. Moscou est l’exemple parfait des immenses contrastes de la société russe, et de la puissance économique du pays : 80% de la masse monétaire du pays y circule, mais 60% de la population y vit en dessous du seuil de pauvreté.

Pour qui veut comprendre l’Ame russe, traverser une fois cet immense pays en Transsibérien est indispensable.

Genève et le débarquement du 1er juin

Article paru dans Le Genevois du 5 juin 2009

Le lundi de Pentecôte, 1er juin dernier, a eu lieu la commémoration du 195e anniversaire du débarquement des troupes confédérées au Port Noir. 147 sociétés patriotiques et folkloriques ont fêté, par leur défilé, leurs bannerets et leurs productions cette date historique du 1er juin 1814, essentielle pour l’adhésion de Genève à la Suisse. Cette cérémonie est organisée chaque année (avec une exception) depuis 1905 par la Société de la Restauration et du Premier juin. On peut affirmer que pour les Genevois, le 1er Juin est ce que le 1er Août est aux Suisses.
 
Mais que commémore-t-on exactement le premier juin ? Suite au départ, le 30 décembre 1813 au matin, de la garnison française et l’arrivée des Autrichiens dans l’après-midi du même jour, les Syndics, après avoir proclamé la Restauration le 1er janvier 1814, ont entretenu d’étroits contacts avec la Diète helvétique. Finalement, en gage d’amitié, cette dernière envoya, par voie lacustre, une garnison de soldats de Fribourg et Soleure, ainsi que quelques Lucernois.

Ils furent accueillis avec enthousiasme par la population au Port Noir le 1er juin 1814. Cette présence devait attester symboliquement que, désormais, Genève était suisse. Le pas décisif vers la Confédération helvétique est ainsi franchi, même si le ministre français Talleyrand intriguera encore longtemps contre les projets de Genève. Après un vote de principe de la Diète le 12 septembre 1814, admettant Genève sans condition au sein de la Confédération, l’acte d’union authentique sera signé le 19 mai 1815, et le député de Genève prêtera serment au nouveau pacte fédéral, en compagnie des 21 autres cantons, le 9 août 1815. Genève n’eut aucune peine à prendre rang parmi les cantons confédérés. On se connaissait depuis si longtemps: la première combourgeoisie avec Fribourg datait du XVe siècle, celle avec Berne et Fribourg de 1526.

Le public était comme chaque année cordialement invité à participer aux festivités et au vin d’honneur offert par le Conseil d’Etat. Pour l’occasion, une tribune métallique de 400 places a été installée, afin de mieux pouvoir admirer le Noble Contingent des Grenadiers fribourgeois et la Compagnie des Vieux-Grenadiers de Genève (sanglés dans leurs magnifiques uniformes d’apparat), le Groupe historique des Vieux Artilleurs, la fanfare de l’Elite, les Etudiants de Zofingue, qui posent la traditionelle couronne commémorant l’arrivée des Suisses et les bannerets de celles des 107 sociétés et associations patriotiques et/ou folkloriques qui se sont associées à la fête. Nos élus étaient évidemment présent, car il est de tradition que le gouvernement genevois descende de La Neptune, sous les coups de canon des Vieux Artilleurs et les salves des grenadiers. Cette cérémonie est en outre une occasion idéale pour le citoyen genevois de côtoyer, en toute décontraction, la classe politique de son canton, de sa ville et de sa commune. N’oublions pas aussi que pour bien des maires, le 1er juin est la date de leur entrée en fonction.

L’Ukraine: un pays entre deux chaises

Article paru dans Le Genevois du 15 mai 2009

Avant de parler de l’Ukraine d’aujourd’hui, il faut se souvenir que cette ex-république de l’URSS (République Socialiste Soviétique d’Ukraine, abrégé RSSU) avait une place à part parmi les quinze républiques de l’URSS: dotée de sa propre constitution, de son propre drapeau, de son propre hymne, elle avait même un siège à l’ONU en tant que membre fondateur. Elle jouait également un rôle majeur dans l’économie de l’URSS comme grenier à blé et centre industriel.

Les frontières actuelles de l’Ukraine sont beaucoup moins anciennes que celles d’autres Etats en Europe. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, la RSSU a été élargie vers l’Ouest aux dépens de la Pologne et de la Tchécoslovaquie. En 1954, sur un simple oukase de Nikita Krouchtchev, la Crimée, qui appartenait à la Russie a été offerte à l’Ukraine pour fêter le tricentenaire de la réunification entre la Russie et l’Ukraine. C’est ainsi que la Crimée, peuplée majoritairement de russes, devient une république autonome au sein de la RSSU. Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’Ukraine indépendante est le deuxième pays d’Europe par la superficie. Comme tous les évènements qui ont eu lieu au début des années 90, cette transition s’est effectuée pratiquement sans effusion de sang. Depuis 1989, grâce à la libéralisation du régime soviétique et la libération de tous les détenus politiques, les Ukrainiens ont pu s’organiser pour défendre leurs droits.

Lors des élections de mars 1990, les partis ukrainiens du bloc démocratique obtiennent environ 25% des sièges au Parlement. Sous l’influence des députés démocrates, le Parlement adopte, le 16 juillet 1990, la Déclaration sur la souveraineté politique de l’Ukraine. C’est le premier pas vers l’indépendance complète proclamée le 24 août 1991. Elle sera confirmée à près de 90% des électeurs lors du référendum organisé le 1er décembre suivant. En 1994, Léonid Koutchma, ex-membre du PCUS et premier ministre depuis 1992, devient président de la République pour deux mandats consécutifs. Il laissera le souvenir d’un personnage corrompu et lié aux groupes mafieux.

Sous la pression populaire de la Révolution orange et suite à des soupçons de fraude, la Cour suprême annule le résultat du second tour de la présidentielle de 2004 qui donnait vainqueur l’ancien premier ministre Viktor Ianoukovitch sur Viktor Iouchtchenko. Jouant la carte de l’Europe et du libéralisme, c’est ce dernier qui l’emporte sur son challenger qui garde de solides positions dans l’est et le sud du pays, russophones et russophiles. V. Iouchtchenko désigne alors comme premier ministre Ioulia Timochenko, femme d’affaires entrée en politique du temps du président Koutchma. Cependant, sur fond d’accusations réciproques de corruption, elle est limogée en septembre 2005 puis invitée à nouveau à participer à une coalition parlementaire «orange» formée par le Parti présidentiel (Notre Ukraine) et le Parti socialiste en mars 2006. Cette alliance hétéroclite conclue après deux mois de pourparlers éclatera en juillet 2006 avec la défection du socialiste Alexandre Moroz, élu président du Parlement avec le soutien de l’opposition pro-russe. Cette défection entraîne le ralliement des socialistes au Parti des Régions (Communistes) et la création d’une nouvelle alliance majoritaire, cette fois dirigée par l’ex-premier ministre V. Ianoukovytch (Parti des Régions) qui souhaite des liens plus forts avec la Russie et l’intégration européenne en accord, sur ce point, avec le président V. Iouchtchenko. Néanmoins, il s’oppose à la candidature de l’Ukraine à l’OTAN et défend les intérêts des consortiums d’extraction minière des régions du Donbass et du Donetsk qui se situent dans la partie orientale de l’Ukraine majoritairement pro-russe.

Grâce à des élections législatives anticipées en septembre I. Tymochenko revient au pouvoir, car son parti arrive en deuxième position. À nouveau, elle ne réussit pas à maintenir la coalition et le Parlement est dissout par le président le 8 octobre 2008. En raison de la crise financière, les élections anticipées sont reportées à une date encore indéterminée, permettant à I. Tymochenko de rester premier ministre sur fond de crise financière et énergétique (la Russie impose un embargo sur les livraisons de gaz lors de l’hiver 2008-2009).

On assiste donc en Ukraine à un ballet de dirigeants pro-occidentaux et pro-russes. Les clivages traditionnels des partis sont gommés au profit d’alliances d’opportunité, parfois même contre nature et liées aux seules options politiques et stratétiques de leurs dirigeants. Cette instabilité politique profite évidemment au Kremlin, qui soutient discrètement les partis pro-russes et peut ainsi souffler le chaud et le froid (au sens propre et figuré!) par son chantage à la fourniture des matières fossiles nécessaires à l’industrie et au chauffage.

L’Ukraine est obligée d’avaler chacune des couleuvres que Moscou lui présente car elle ne peut se permettre un conflit ouvert avec la Russie car cela compromettrait ses chances de rejoindre un jour l’OTAN ou l’Union européenne. Mais c’est surtout parce que plus de la moitié des cadres de l’armée sont des citoyens ukrainiens originaires de Russie et des anciennes républiques de l’URSS. Il n’est pas sûr que ces officiers ne s’en souviennent pas en cas de conflit armé. En outre, Sébastopol et la Crimée abritent encore les éléments de la Flotte russe de la Mer Noire. L’Ukraine se trouve donc dans une situation très inconfortable, tiraillée par des courants internes qui la font regarder tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest.

La révolution orange, pilotée depuis l’ouest, a certes permis d’écarter les apparatchiks corrompus issus du PCUS, mais n’a pas permis à cet immense pays de s’émanciper totalement de l’influence de Moscou. À la différence d’autres pays rattachés de façon arbitraire à la sphère d’influence soviétique et russe par le traité de Yalta, trop de siècles d’histoire commune et de relations tumultueuses lient l’Ukraine à la Russie.

Pologne 1989-2009 : des grèves de Solidarnosc à la démocratie

Article paru dans Le Genevois du 17 avril 2009

De tous les ex-pays du bloc communiste, la Pologne est sans doute celui où la résistance au totalitarisme communiste et à l’URSS n’a jamais cessé de se manifester depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, soutenue par une Eglise catholique très influente. Des évènements du Jeudi noir de Poznan (28 juin 1956) à la grève déclenchée le 14 décembre 1970 aux chantiers navals de Gdansk, où la milice tira sur la foule en faisant de nombreux morts. A cette occasion Lech Walesa et Tadeusz Mazowiecki ont réussi, 10 ans avant la chute du mur de Berlin, à ébranler le régime communiste en Pologne.

Il ne faut pas oublier que la Pologne n’a jamais été une république socialiste comme les autres. C’est sans doute elle qui a résisté avec le plus de force à un système qui lui était imposé par les Soviétiques. La collectivisation des terres y avait été stoppée et le rôle des paysans petits propriétaires était important. Les ouvriers des chantiers navals et des aciéries étaient très combatifs. Lorsqu’ils ont découvert que les responsables de leur bas niveau de vie étaient les communistes du gouvernement qui profitaient personnellement du système, c’est contre eux qu’ils ont déclenché leur lutte finale.

En 1989 le pays est, d’un point de vue économique, littéralement en ruine. En effet, l’incapacité du gouvernement communiste à résoudre les problèmes économiques pendant près de 40 ans malgré le lancement régulier de nouvelles réformes a amené les ouvriers à déclencher des grèves, qui ont fini par avoir raison de la dictature de la république populaire malgré le fait qu’elles ont été violemment réprimées. Avec l’arrivée au pouvoir du premier chef de gouvernement issu de l’opposition, ce ne sont pas seulement des problèmes économiques qui devront être résolus, mais également des problèmes institutionnels et politiques (reconnaissance par l’Allemagne de la frontière Oder-Neisse, par ex.), moraux (avortement, antisémitisme) et diplomatiques (rétablissement des relations diplomatiques entre la Pologne et Israël, reconnaissance par l’URSS de sa responsabilité dans le massacre de Katyn).

En 1990, lors des premières élections libres, Lech Walesa, la figure marquante de syndicat Solidarnosc accède à la présidence de la république. Cette élection a permis la transition vers une véritable démocratie en Pologne. Fervent catholique, il a reçu un appui remarqué de son compatriote, le pape Jean-Paul II, premier pape slave de l’histoire. En 1995, de nombreux électeurs reprochent au président son trop grand conservatisme moral, l’importante place prise par l’Église catholique dans la vie politique et surtout la mise en place de politiques économiques de rigueur, jugées néolibérales et contraires à son programme de campagne. Il perdra l’élection présidentielle face à l’ancien communiste Aleksander Kwasniewski. Ce dernier développe une politique résolument atlantiste: sa présidence est marquée par l’adhésion de la Pologne à l’OTAN en 1999,  le soutien actif à la guerre en Irak en 2003, l’adhésion à l’Union européenne en 2004, par un soutien à la Révolution orange en Ukraine. Ses années de gouvernement sont par contre marquées par des affaires de corruption à répétition, ce qui amènera sa chute lors des élections de 2005 et l’arrivée au pouvoir du conservateur Lech Kaczynski, qui, pour se faire élire, a promis une révolution morale aux Polonais. Rapidement, son gouvernement est critiqué pour diverses raisons: son frère jumeau devient premier ministre, certains membres du gouvernement sont affiliés à la frange ultraconservatrice de l’Eglise catholique, professent des idées ultra-nationalistes et antisémites. Mais c’est surtout un projet de loi de 2007 visant à purger l’administration des anciens collaborateurs des services secrets communistes qui a suscité un immense tollé. Tous ces éléments ont ruiné la popularité du parti gouvernemental auprès des intellectuels, de la classe moyenne et des jeunes. En octobre 2007, ce parti perd d’ailleurs les élections législatives anticipées qui sont remportées par la Plateorme civique menée par le parti de Donald Tusk. Devenu premier ministre, il applique un programme économique libéral mais socialement conservateur!

Ces péripéties occultent en partie les problèmes économiques quotidiens auxquels sont confrontés les Polonais et qui se sont encore aggravés depuis le début de la crise financière à la fin 2008. Vingt ans après la chute de la dictature communiste, nonante ans après la renaissance de l’Etat polonais et l’établissement de relations diplomatiques avec la Suisse, c’est une forme de dictature financière ultralibérale qui met les Polonais à genoux.

Hongrie 1989-2009, ou l’art de la goulash politique à la hongroise

Article paru dans Le Genevois du 27 mars 2009

Le 23 octobre 1989 depuis un balcon du Parlement hongrois, un magnifique bâtiment dans le plus pur style de Westminster, sur les bords du Danube, le président du Parlement hongrois, le «socialo-communiste» M. Szüros annonce à ses compatriotes (et non plus ses camarades) que désormais l’Etat dans lequel ils vivent est la République de Hongrie.

Comment un membre du Parti communiste (qui a régné sans partage sur le pays pendant plus de 40 ans) a-t-il pu en arriver à faire une telle déclaration? Depuis plus d’un an, le pouvoir communiste était pris de vitesse par l’opposition et par la pression réformatrice. La Hongrie, depuis 1968, s’était singularisée au sein du bloc communiste par des libéralisations économiques, qui lui avaient valu l’appellation de «la baraque la plus joyeuse du camp socialiste». Malgré cela, au niveau politique prévalait la stagnation habituelle aux systèmes «démocratiques». Enfin, en 1988 les communistes réformateurs mettent à la retraite le camarade Janos Kadar, âgé de 75 ans, et au pouvoir depuis 1956 (J. Kadar a été installé au pouvoir par les soviétiques, afin de normaliser la situation après la révolution de d’octobre 1956). Ces réformateurs entrent au Politburo, pariant très vite, à l’instar des Polonais, sur le fait que la situation évolue aussi à Moscou. Pas à pas, ils font sauter les vieux tabous: pluripartisme en février 1989, démantèlement du rideau de fer en mai, réhabilitation de Imre Nagy en juin, premières élections (partielles) libres en juillet, qui se soldent par une victoire écrasante des candidats de l’opposition. Le réformisme précoce des communistes hongrois ne les sauvera cependant pas de la chute. Le Parti communiste hongrois s’auto-dissoudra pour créer le Parti socialiste hongrois, qui ne récupérera qu’un dixième de ses anciens membres. En mars 1990 les premières élections générales et libres voient la déroute totale des anciens maîtres.

Cependant la tâche pour le nouveau gouvernement sera énorme: sortir du pacte de Varsovie (avec à la clé la neutralité militaire du pays), privatiser «en douceur» les entreprises nationalisées par les communistes, effectuer une transition contrôlée vers l’économie de marché et une intégration à l’Europe politique, tout en conservant le consensus social. Cette transition ne s’est pas faite sans douleur (période d’inflation galopante, dévaluation du forint, etc…). Et plus d’un gouvernement s’y est cassé les dents, amenant pratiquement à chaque élection une nouvelle coalition au pouvoir. Un exemple parmi d’autres: en 2007 le Gouvernement socialiste-libéral hongrois (sic), au plus bas dans les sondages, notamment à cause de son plan d’austérité, a introduit en février une réforme de la santé publique enterrant le principe de la gratuité des soins à laquelle les Hongrois étaient habitués. Ils vont devoir payer un «forfait de visite» de 300 forints (1,80 $ de 2007) pour les visites médicales et chaque journée d’hospitalisation. Cette décision était basée sur la loi financière, adoptée en décembre 2006, qui prévoyait, au prix de nombreuses réformes, de ramener le déficit public à 6,8% du PIB, alors qu’il était jusque-là l’un des plus lourds d’Europe avec près de 10%. En automne 2006, le premier ministre socialiste avouait avoir menti sur la situation économique du pays pour se faire réélire, ce qui avait provoqué les pires émeutes depuis la fin du communisme.

Cette inversion des rôles est devenue le pire cauchemar de la Hongrie: des ex-communistes qui mènent une politique de droite débridée, un «capitalisme sauvage», alliés à un Parti libéral très marginal en nombre de voix (libre concurrence, libre marché, aucune propriété d’Etat, programme social minimal, etc)…, alors que les conservateurs ont un programme typiquement de gauche: gratuité dans tous les domaines, les compagnies d’intérêt national doivent être propriété de l’Etat (nationalisées), etc. Cette situation ubuesque se reflète même dans le moral de la population qui n’a jamais été aussi bas, même durant les pires années du communisme. Aujourd’hui, les Hongrois ont l’impression terrible que les communistes sont encore partout et aussi nulle part!

Engagée très tôt dans des réformes, la Hongrie n’a pu saisir sa chance, prisonnière de formations politiques plus intéressées à défendre leurs intérêts partisans (même au prix d’alliances contre-nature) que ceux du pays. En outre, certaines mesures impopulaires ont chaque fois été durement sanctionnées lors des votations. Cette situation a permis plusieurs fois le retour des socialistes (ex-communistes) au pouvoir, qui, même s’ils ont adopté le style de leurs camarades occidentaux, ont gardé quelques réflexes anciens. Cette situation politique, déjà instable, s’est trouvée accentuée par la crise financière mondiale et son impact catastrophique sur le pays. L’automne, la Hongrie s’est vue contrainte de solliciter des largesses du FMI, de la BERD et de l’UE pour rétablir sa situation financière.

RDA 1989 – 2009. «Good bye Lenin»

Article paru dans Le Genevois du 13 mars 2009

Au printemps 1989, six mois avant la chute du Mur de Berlin, alors que l’attention mondiale se focalisait sur la place Tien An Men, la Hongrie décidait de démanteler les infra structures du «rideau de fer» qui bouclaient sa frontière avec l’Autriche. Cette décision, passée à ce moment pratiquement inaperçue en Europe occidentale, allait permettre aux citoyens de la RDA de contourner le mur de Berlin et de provoquer dès le début de l’été un exode de plus en plus massif de ces derniers (fuyant le paradis de l’Etat socialiste dirigé par le peuple pour le peuple) vers la RFA.

Le processus qui allait aboutir à la réunification allemande était lancé. En un peu plus de 18 mois, le pays le plus policé du monde (le système mis en place par le Parti encourageait la délation jusque dans le cercle familial), celui qui avait élevé le mensonge au niveau du dogme d’Etat (la justification du mur de Berlin en est un exemple frappant: officiellement il s’agissait du mur de protection antifasciste), celui le plus attaché à l’économie planifiée, celui qui était le plus fidèle allié de Moscou dans le cadre du Pacte de Varsovie allait d’abord friser l’implosion, avant de se retrouver intégré non seulement dans l’Union européenne, mais aussi dans l’OTAN.

N’oublions en outre pas, qu’en violation de tous ses engagements internationaux, la RDA a offert jusqu’à la réunification une «planque» aux terroristes membres de la Bande à Baader qui s’étaient réfugiés sur son territoire, en leur fournissant non seulement une nouvelle identité, mais en les intégrant dans le «paradis des travailleurs».

Durant ces 18 mois remplis d’une intense activité politique, diplomatique et économique, les citoyens de l’ex-RDA (les «Ossis») et de la RFA (les «Wessis») sont passés du stade de l’euphorie de la chute du mur à la prise de conscience de la brutale réalité liée à la fusion de deux systèmes politiques totalement incompatibles. Les «Wessis» car ils se sont rendus compte qu’ils allaient payer très chèrement la reconstruction d’une partie de leur pays livré pendant près de 40 ans à l’incurie d’un gouvernement de gauche et la mise en application (avec l’aide de la force si nécessaire) de dogmes utopiques. Les «Ossis», car ils seront les victimes de la brutalité des changements pour les habitants de la RDA, puisque l’univers dans lequel ils végétaient (en rêvant à la vie de «l’autre côté») s’est écroulé à la chute du mur. On ne rattrape pas 40 ans d’immobilisme socialiste (transports publics dans un état de délabrement total, désastres écologiques, système social basé sur le népotisme et le favoritisme, etc…) en quelques mois, même avec un financement massif. Il faut à ce sujet avoir vu le film de Wolfgang Becker, «Goodbye Lenin» qui illustre parfaitement cette période de transition. Le succès qu’il a d’ailleurs remporté aussi bien dans les «Länder» de l’ancienne RFA que dans ceux issus de l’ex-RDA montre qu’il a été perçu bien au-delà comme un révélateur des désillusions qui ont suivi la réunification allemande.

Aujourd’hui, presque vingt ans après la chute du mur, la césure entre les nouveaux et les anciens «Länder» reste frappante et la déception est amère: chômage plus lourd et niveau de vie plus faible qu’à l’Ouest. Cependant une aide massive, la mise en application de réformes économiques, techniques et sociales ont permis de réduire les écarts. Aujourd’hui, seuls les «Ostalgiker» (et le Parti communiste) regrettent la vie telle qu’elle était avant la chute du mur. Ces derniers, car ils sont toujours prisonniers de leurs dogmes et utopies et pensent pouvoir profiter des désillusions provoquées par la réunification pour se profiler et retrouver le pouvoir. Inexistants à l’Ouest, ils sont quantité négligeable à l’Est, sauf dans certaines villes (qui sont comme par hasard les plus touchées par le chômage). Les premiers parce qu’ils ont principalement la nostalgie de leur jeunesse, du temps où l’Etat pensait et réfléchissait pour eux. Ironie du sort: dans les dernières années du régime est-allemand c’est cette jeunesse qui rêvait le plus «à l’autre côté» tout en ironisant sur les prouesses économiques et technologiques du pays, comme par exemple les innombrables blagues sur les Trabants ( »das Wunderwerk der sozialistischen Spitzenindustrie », soit « le miracle de l’industrie de pointe socialiste »), voiture qui est devenue avec le temps l’un des symboles des «Ostalgiker».