L’Ukraine: un pays entre deux chaises

Article paru dans Le Genevois du 15 mai 2009

Avant de parler de l’Ukraine d’aujourd’hui, il faut se souvenir que cette ex-république de l’URSS (République Socialiste Soviétique d’Ukraine, abrégé RSSU) avait une place à part parmi les quinze républiques de l’URSS: dotée de sa propre constitution, de son propre drapeau, de son propre hymne, elle avait même un siège à l’ONU en tant que membre fondateur. Elle jouait également un rôle majeur dans l’économie de l’URSS comme grenier à blé et centre industriel.

Les frontières actuelles de l’Ukraine sont beaucoup moins anciennes que celles d’autres Etats en Europe. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, la RSSU a été élargie vers l’Ouest aux dépens de la Pologne et de la Tchécoslovaquie. En 1954, sur un simple oukase de Nikita Krouchtchev, la Crimée, qui appartenait à la Russie a été offerte à l’Ukraine pour fêter le tricentenaire de la réunification entre la Russie et l’Ukraine. C’est ainsi que la Crimée, peuplée majoritairement de russes, devient une république autonome au sein de la RSSU. Avec l’effondrement de l’Union soviétique en 1991, l’Ukraine indépendante est le deuxième pays d’Europe par la superficie. Comme tous les évènements qui ont eu lieu au début des années 90, cette transition s’est effectuée pratiquement sans effusion de sang. Depuis 1989, grâce à la libéralisation du régime soviétique et la libération de tous les détenus politiques, les Ukrainiens ont pu s’organiser pour défendre leurs droits.

Lors des élections de mars 1990, les partis ukrainiens du bloc démocratique obtiennent environ 25% des sièges au Parlement. Sous l’influence des députés démocrates, le Parlement adopte, le 16 juillet 1990, la Déclaration sur la souveraineté politique de l’Ukraine. C’est le premier pas vers l’indépendance complète proclamée le 24 août 1991. Elle sera confirmée à près de 90% des électeurs lors du référendum organisé le 1er décembre suivant. En 1994, Léonid Koutchma, ex-membre du PCUS et premier ministre depuis 1992, devient président de la République pour deux mandats consécutifs. Il laissera le souvenir d’un personnage corrompu et lié aux groupes mafieux.

Sous la pression populaire de la Révolution orange et suite à des soupçons de fraude, la Cour suprême annule le résultat du second tour de la présidentielle de 2004 qui donnait vainqueur l’ancien premier ministre Viktor Ianoukovitch sur Viktor Iouchtchenko. Jouant la carte de l’Europe et du libéralisme, c’est ce dernier qui l’emporte sur son challenger qui garde de solides positions dans l’est et le sud du pays, russophones et russophiles. V. Iouchtchenko désigne alors comme premier ministre Ioulia Timochenko, femme d’affaires entrée en politique du temps du président Koutchma. Cependant, sur fond d’accusations réciproques de corruption, elle est limogée en septembre 2005 puis invitée à nouveau à participer à une coalition parlementaire «orange» formée par le Parti présidentiel (Notre Ukraine) et le Parti socialiste en mars 2006. Cette alliance hétéroclite conclue après deux mois de pourparlers éclatera en juillet 2006 avec la défection du socialiste Alexandre Moroz, élu président du Parlement avec le soutien de l’opposition pro-russe. Cette défection entraîne le ralliement des socialistes au Parti des Régions (Communistes) et la création d’une nouvelle alliance majoritaire, cette fois dirigée par l’ex-premier ministre V. Ianoukovytch (Parti des Régions) qui souhaite des liens plus forts avec la Russie et l’intégration européenne en accord, sur ce point, avec le président V. Iouchtchenko. Néanmoins, il s’oppose à la candidature de l’Ukraine à l’OTAN et défend les intérêts des consortiums d’extraction minière des régions du Donbass et du Donetsk qui se situent dans la partie orientale de l’Ukraine majoritairement pro-russe.

Grâce à des élections législatives anticipées en septembre I. Tymochenko revient au pouvoir, car son parti arrive en deuxième position. À nouveau, elle ne réussit pas à maintenir la coalition et le Parlement est dissout par le président le 8 octobre 2008. En raison de la crise financière, les élections anticipées sont reportées à une date encore indéterminée, permettant à I. Tymochenko de rester premier ministre sur fond de crise financière et énergétique (la Russie impose un embargo sur les livraisons de gaz lors de l’hiver 2008-2009).

On assiste donc en Ukraine à un ballet de dirigeants pro-occidentaux et pro-russes. Les clivages traditionnels des partis sont gommés au profit d’alliances d’opportunité, parfois même contre nature et liées aux seules options politiques et stratétiques de leurs dirigeants. Cette instabilité politique profite évidemment au Kremlin, qui soutient discrètement les partis pro-russes et peut ainsi souffler le chaud et le froid (au sens propre et figuré!) par son chantage à la fourniture des matières fossiles nécessaires à l’industrie et au chauffage.

L’Ukraine est obligée d’avaler chacune des couleuvres que Moscou lui présente car elle ne peut se permettre un conflit ouvert avec la Russie car cela compromettrait ses chances de rejoindre un jour l’OTAN ou l’Union européenne. Mais c’est surtout parce que plus de la moitié des cadres de l’armée sont des citoyens ukrainiens originaires de Russie et des anciennes républiques de l’URSS. Il n’est pas sûr que ces officiers ne s’en souviennent pas en cas de conflit armé. En outre, Sébastopol et la Crimée abritent encore les éléments de la Flotte russe de la Mer Noire. L’Ukraine se trouve donc dans une situation très inconfortable, tiraillée par des courants internes qui la font regarder tantôt vers l’est, tantôt vers l’ouest.

La révolution orange, pilotée depuis l’ouest, a certes permis d’écarter les apparatchiks corrompus issus du PCUS, mais n’a pas permis à cet immense pays de s’émanciper totalement de l’influence de Moscou. À la différence d’autres pays rattachés de façon arbitraire à la sphère d’influence soviétique et russe par le traité de Yalta, trop de siècles d’histoire commune et de relations tumultueuses lient l’Ukraine à la Russie.

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