Hongrie 1989-2009, ou l’art de la goulash politique à la hongroise

Article paru dans Le Genevois du 27 mars 2009

Le 23 octobre 1989 depuis un balcon du Parlement hongrois, un magnifique bâtiment dans le plus pur style de Westminster, sur les bords du Danube, le président du Parlement hongrois, le «socialo-communiste» M. Szüros annonce à ses compatriotes (et non plus ses camarades) que désormais l’Etat dans lequel ils vivent est la République de Hongrie.

Comment un membre du Parti communiste (qui a régné sans partage sur le pays pendant plus de 40 ans) a-t-il pu en arriver à faire une telle déclaration? Depuis plus d’un an, le pouvoir communiste était pris de vitesse par l’opposition et par la pression réformatrice. La Hongrie, depuis 1968, s’était singularisée au sein du bloc communiste par des libéralisations économiques, qui lui avaient valu l’appellation de «la baraque la plus joyeuse du camp socialiste». Malgré cela, au niveau politique prévalait la stagnation habituelle aux systèmes «démocratiques». Enfin, en 1988 les communistes réformateurs mettent à la retraite le camarade Janos Kadar, âgé de 75 ans, et au pouvoir depuis 1956 (J. Kadar a été installé au pouvoir par les soviétiques, afin de normaliser la situation après la révolution de d’octobre 1956). Ces réformateurs entrent au Politburo, pariant très vite, à l’instar des Polonais, sur le fait que la situation évolue aussi à Moscou. Pas à pas, ils font sauter les vieux tabous: pluripartisme en février 1989, démantèlement du rideau de fer en mai, réhabilitation de Imre Nagy en juin, premières élections (partielles) libres en juillet, qui se soldent par une victoire écrasante des candidats de l’opposition. Le réformisme précoce des communistes hongrois ne les sauvera cependant pas de la chute. Le Parti communiste hongrois s’auto-dissoudra pour créer le Parti socialiste hongrois, qui ne récupérera qu’un dixième de ses anciens membres. En mars 1990 les premières élections générales et libres voient la déroute totale des anciens maîtres.

Cependant la tâche pour le nouveau gouvernement sera énorme: sortir du pacte de Varsovie (avec à la clé la neutralité militaire du pays), privatiser «en douceur» les entreprises nationalisées par les communistes, effectuer une transition contrôlée vers l’économie de marché et une intégration à l’Europe politique, tout en conservant le consensus social. Cette transition ne s’est pas faite sans douleur (période d’inflation galopante, dévaluation du forint, etc…). Et plus d’un gouvernement s’y est cassé les dents, amenant pratiquement à chaque élection une nouvelle coalition au pouvoir. Un exemple parmi d’autres: en 2007 le Gouvernement socialiste-libéral hongrois (sic), au plus bas dans les sondages, notamment à cause de son plan d’austérité, a introduit en février une réforme de la santé publique enterrant le principe de la gratuité des soins à laquelle les Hongrois étaient habitués. Ils vont devoir payer un «forfait de visite» de 300 forints (1,80 $ de 2007) pour les visites médicales et chaque journée d’hospitalisation. Cette décision était basée sur la loi financière, adoptée en décembre 2006, qui prévoyait, au prix de nombreuses réformes, de ramener le déficit public à 6,8% du PIB, alors qu’il était jusque-là l’un des plus lourds d’Europe avec près de 10%. En automne 2006, le premier ministre socialiste avouait avoir menti sur la situation économique du pays pour se faire réélire, ce qui avait provoqué les pires émeutes depuis la fin du communisme.

Cette inversion des rôles est devenue le pire cauchemar de la Hongrie: des ex-communistes qui mènent une politique de droite débridée, un «capitalisme sauvage», alliés à un Parti libéral très marginal en nombre de voix (libre concurrence, libre marché, aucune propriété d’Etat, programme social minimal, etc)…, alors que les conservateurs ont un programme typiquement de gauche: gratuité dans tous les domaines, les compagnies d’intérêt national doivent être propriété de l’Etat (nationalisées), etc. Cette situation ubuesque se reflète même dans le moral de la population qui n’a jamais été aussi bas, même durant les pires années du communisme. Aujourd’hui, les Hongrois ont l’impression terrible que les communistes sont encore partout et aussi nulle part!

Engagée très tôt dans des réformes, la Hongrie n’a pu saisir sa chance, prisonnière de formations politiques plus intéressées à défendre leurs intérêts partisans (même au prix d’alliances contre-nature) que ceux du pays. En outre, certaines mesures impopulaires ont chaque fois été durement sanctionnées lors des votations. Cette situation a permis plusieurs fois le retour des socialistes (ex-communistes) au pouvoir, qui, même s’ils ont adopté le style de leurs camarades occidentaux, ont gardé quelques réflexes anciens. Cette situation politique, déjà instable, s’est trouvée accentuée par la crise financière mondiale et son impact catastrophique sur le pays. L’automne, la Hongrie s’est vue contrainte de solliciter des largesses du FMI, de la BERD et de l’UE pour rétablir sa situation financière.

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